Le berceau de l'humanité

La légende du phacochère

"Les animaux sauvages avaient l’habitude de se rassembler annuellement auprès d’un marigot pour se divertir. Quand ils avaient soif, ils allaient s’abreuver au marigot. En ce temps c’était la tortue qui leur jouait du molo (luth). A la fin de la rencontre, ils se dispersèrent. A cette époque les hommes ignoraient le luth. Non loin du lieu de rendez-vous vivaient des chasseurs. Cette année là, ils décidèrent de ne pas s’éloigner de leur village pour chercher leur gibier. Chacun d’eux se munit de deux carquois, de deux arcs et de flèches empoisonnées. Puis ils se mirent à l’affût à côté du marigot. Lorsque les animaux commencèrent à se regrouper, Kunkuru la tortue leur joua du molo.

Chaque fois qu’un animal avait soif, il se dirigeait vers le marigot. Mais dès qu’il sentait l’odeur du poison, il revenait en courant s’asseoir sans informer les autres du danger qui les guettait. Il a fallu que la tortue ait soif pour que la nouvelle se propage. En effet, la tortue était percluse ; elle suppliait les braves de la conduire au marigot afin d’étancher sa soif. Mais personne ne se soucia d’elle. Peu après l’hyène arriva à la réunion. Elle demanda pourquoi la tortue ne jouait pas son molo et restait couchée. L’assistance lui répondit que la tortue était malade, qu’elle avait soif. Alors s’étonna-t-elle que personne ne puisse emmener la joueuse de molo au marigot se désaltérer et continuer à jouer la musique, les autres lui dirent que l’eau était inaccessible car les chasseurs avaient occupé le marigot et décochaient des flèches à tout animal qui osait s’en approcher.

L’hyène ordonna qu’on posât la tortue sur son dos pour qu’elle l’amène se désaltérer et continue à jouer son art. Mais quand elle s’avança vers l’eau, elle flaira l’odeur du poison et voulut se débarrasser de la tortue pour se sauver. Cette dernière la supplia de la ramener là où elle l’avait prise, il se pourrait qu’un autre brave l’amène au marigot. L’hyène revint avec la tortue, la déposa et s’assit. Puis ce fut le tour du lion, après celui de l’éléphant, et après celui du patriarche des éléphants, ensuite celui de rhinocéros. Aucun d’eux ne réussit à faire boire la tortue.

Pendant ce temps, la femme du phacochère disait qu’on ne peut travailler qu’avec des outils. On pourrait être plus beau que son mari mais pas plus travailleur. Plus tard Gyado le phacochère se rendit au lieu de la rencontre. Il s’enquit des raisons qui ont empêché la tortue de jouer le luth. Aussi décida t-il de satisfaire la luthiste. Il la transporta jusqu’au marigot, entra dans l’eau malgré les flèches empoisonnées que les chasseurs lui décochaient. Il dit à la joueuse de molo d’étancher sa soif. Mais la tortue constata du sang qui flottait sur l’eau qu’elle buvait, elle demanda à Gyado le phacochère s’il n’était pas touché. Celui-ci lui répondit non, c’étaient les mouches des éléphants qui le mordaient, c’est pourquoi son sang coulait dans l’eau.

En ramenant la tortue, le phacochère titubait sous l’effet du poison. Il invoqua la clémence de Dieu pour qu’il ne meure pas avant l’accomplissement de sa mission. Sa prière fut exaucée. Il ramena la tortue. Comme la gueule de cette dernière était couverte de taches de vase, tout le monde était convaincu qu’elle avait étanché sa soif. Le phacochère rassembla tous les animaux et leur demanda pardon car il savait qu’il allait succomber. Après la mort du phacochère, la tortue monta sur le cadavre et chantait en pleurant la louange du défunt.

Lorsqu’elle pressentit qu’elle allait avoir soif, elle descendit de la dépouille, puis disjoignit le manche de son molo de la caisse de résonance et le jeta. Quant à la caisse, il la posa sur son dos et s’enfonça dans la brousse. Depuis lors elle jura de ne plus jouer du molo puisque le brave phacochère est mort. C’est cette caisse qui constitue aujourd’hui la carapace de la tortue. C’est cette dernière qui a fait don du luth aux hommes."